Qu’est-ce que l’urbanisme du care ?
L’urbanisme du care est une manière de concevoir la ville en plaçant la vulnérabilité, l’attention à l’autre et les liens qui nous unissent au cœur des projets.
Concrètement, cela signifie de considérer chaque projet non comme une simple réponse à une commande ou une logique de marché, mais comme une opportunité de réparer les inégalités, de renforcer le tissu social, de répondre aux besoins humains et écologiques. Cela impose un changement de regard, de culture : passer d’un urbanisme de l’offre, qui impose des projets standardisés, à un urbanisme des besoins, fondé sur l’écoute, le dialogue, l’attention aux attentes et besoins des habitants.
Il ne s’agit pas seulement de « prendre en compte » les vulnérabilités de certains groupes, comme si c’était une catégorie parmi d’autres. Il s’agit de reconnaître que la vulnérabilité est universelle. Nous sommes tous et toutes, à un moment ou un autre, traversés soit directement, soit des membres de notre famille, par des formes de fragilité durables ou passagères : maladie, vieillesse, précarité, isolement, handicap… Et face à cela, il existe une responsabilité collective.
Comment êtes-vous venu à ces notions d’urbanisme et de care ?
Quand j’ai fondé LDV Studio Urbain, mon ambition était de faire émerger des projets urbains à partir des besoins concrets des habitants. Très vite, j’ai compris que cette approche nécessitait une vraie méthode et une forte implication : comprendre l’histoire des habitants, les fragilités locales, les héritages invisibles, les situations d’exclusion. Dans notre conception, l’urbanisme ne pouvait alors plus se limiter à une réponse technique : il devait devenir un levier pour réparer les fractures sociales.
Est-ce une approche récente de l’urbanisme ?
Non, l’attention portée à l’autre, aux besoins du quotidien et aux vulnérabilités n’est pas nouvelle. Dès les débuts de l’urbanisme moderne, certains acteurs, souvent isolés, ont tenté de faire émerger une pensée de la ville qui prenne soin. Les quartiers ouvriers autogérés, les expériences communautaires, les pratiques de proximité ont toujours existé.
Mais ce qui change aujourd’hui, c’est le contexte de crise systémique dans lequel nous nous trouvons. Les crises climatiques, sociales, économiques, démocratiques et du logement interagissent les unes les autres. Il est urgent de remettre l’humain et le vivant au centre de la fabrication de la ville.
Qu’est-ce que cela vient apporter de nouveau dans les réflexions sur la manière d’aménager la ville ?
Ce que cela change fondamentalement, c’est le point de départ. On ne pense plus la ville à partir de sa performance, de son attractivité ou de sa capacité à construire à tout prix. On la pense à partir des besoins réels, parfois silencieux, souvent invisibles.
Avec cette approche, peut-on dire que l’urbanisme est aussi une pratique du soin ?
Oui, je crois profondément que l’urbanisme peut, et doit devenir une pratique du soin, au sens large du terme. Pas un soin médicalisé, bien sûr, mais un soin relationnel, social, symbolique. Prendre soin d’un territoire, c’est prendre soin des liens qui le traversent, des mémoires qu’il porte, des vies qu’il rend possibles.
Cela signifie que l’acte d’aménager devient un acte éthique. Il engage notre responsabilité vis-à-vis des autres, mais aussi vis-à-vis du vivant non-humain. Cela signifie aussi qu’on ne peut plus penser la ville comme une addition de projets ponctuels, déconnectés les uns des autres. Il faut une cohérence d’ensemble, une attention constante à ce qui est déjà là, à ce qui peut être réparé plutôt que remplacé.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux de santé auxquels nos villes doivent répondre aujourd’hui ?
Il y a d’abord la santé au sens physique : pollution, malbouffe, logements insalubres... Des enjeux très concrets, souvent concentrés malheureusement dans les quartiers populaires. Mais il faut élargir le regard. La santé, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, c’est un état global de bien-être individuel et collectif.
Nous vivons aujourd’hui une crise de la santé sociale. Notre société est fragmentée, traversée par les tensions, l’isolement, la défiance. Les fractures sont partout : géographiques, générationnelles, culturelles, politiques. Jérôme Fourquet parle d’une France en archipels. Cette fragmentation est, en soi, un enjeu de santé. Car une société malade de ses divisions ne peut pas tenir debout très longtemps.
Si l’on se projette en 2040, comment imaginez-vous une ville qui prend soin ?
Ce que je souhaite, c’est une ville où la norme ne serait plus la performance, la vitesse ou la rentabilité, mais l’attention : l’attention aux liens, aux biens communs, aux rythmes du vivant.
Une ville qui reconnaît les connexions entre toutes nos vies, qui respecte les limites de la planète, qui choisit la proximité plutôt que l’expansion, la coopération plutôt que la compétition, l’écoute plutôt que la décision imposée d’en haut.