Plusieurs personnalités locales et nationales sont à l’initiative de l’accueil de ce village africain
, dont Paul Mistral, maire de Grenoble, et Léon Perrier, président du Conseil général et ministre des Colonies entre 1925 et 1928. Ce village africain
exposait des êtres humains comme des curiosités exotiques ; il connut un succès retentissant et généra des profits considérables pour l’Exposition.
Une reconstitution théâtrale au cœur de l’exposition
Le village africain était une enclave entourée de palissades, clairement différenciée des autres espaces, comme le village alpin, présent sur le site. Il s’agissait d’un spectacle vivant où des Africains jouaient des rôles stéréotypés, donnant l’impression d’animer une agglomération soudanaise
avec ses cases, écoles coraniques, mosquées, et tentes maures. Les artisans travaillaient devant un public nombreux, qui venait observer ces indigènes
considérés comme des sauvages
à civiliser. Le tout était agrémenté par des attractions pittoresques telles que des souks animés par des commerçants nord-africains, des cafés maures, des diseuses de bonne aventure et des charmeurs de serpents.
Cette mise en scène, rapportée par le géographe Raoul Blanchard, visait non seulement à divertir mais surtout à imposer un récit raciste et hiérarchisé du monde, où les peuples colonisés apparaissaient inférieurs, justifiant ainsi la domination française.
Les zoos humains : un phénomène international et évolutif
Le village africain de Grenoble appartient à la deuxième génération de zoos humains. La première, plus brutale, consistait en la transplantation forcée de personnes, par la suite victimes de maladies et de décès. La seconde génération repose sur l’idée d’un spectacle où chaque participant joue un personnage
et est rémunéré tout en restant enfermé dans un rôle déshumanisant. Ces spectacles ont attiré des centaines de milliers de visiteurs et de visiteuses dans toute l’Europe, contribuant à la diffusion d’un racisme populaire.
Ces zoos humains ont fabriqué une représentation raciste ancrée dans la société, qui dépassait le cadre scientifique pour s’imposer dans la culture de masse. Ils participaient ainsi à naturaliser une supposée hiérarchie raciale et à légitimer la colonisation.
Un contexte politique marqué par la guerre du Rif et la montée du cartel des gauches
L’Exposition de 1925 coïncide avec un moment politique crucial : l’arrivée au pouvoir du cartel des gauches, une coalition progressiste qui succède à la droite conservatrice après la Première Guerre mondiale. Paul Painlevé, président du Conseil et socialiste, vient à Grenoble inaugurer l’Exposition. C’est lors de cette visite qu’il prononce son fameux discours de Grenoble
, annonçant l’entrée en guerre de la France aux côtés de l’Espagne dans la guerre du Rif au Maroc.
Cette guerre, qui voit la révolte du peuple rifain contre la colonisation, est menée avec une répression terrible incluant l’utilisation de l’aviation et d’armes chimiques. Elle provoque une fracture à gauche : le parti communiste, les libertaires, la CGTU et même les surréalistes s’opposent vivement à cette intervention. Des centaines d’opposants sont arrêtés. La justification militaire s’appuie sur la même déshumanisation que celle véhiculée par le zoo humain, renforçant un discours où les peuples colonisés sont perçus comme des sous-hommes
devant être maîtrisés.
Paul Painlevé, ancien ministre de la Guerre, fait appel à Pétain pour mater cette révolte, marquant une continuité idéologique et militaire avec les méthodes employées plus tard pendant la guerre d’Algérie.
Une opération à la fois politique, économique et raciste
Le village africain n’était pas qu’un simple divertissement ;il s’inscrivait dans une stratégie politique et économique. Marius Blanchet, commissaire général de l’Exposition de Grenoble, s’était inspiré du succès financier du village africain à l’Exposition coloniale de Strasbourg en 1924 qui avait accueilli un million de visiteurs. L’objectif était de rentabiliser l’Exposition internationale de la houille blanche et du tourisme, dont les coûts étaient considérables en attirant un public nombreux avec ce spectacle exotique. L’Exposition eut un tel succès de fréquentation, notamment grâce au zoo humain, que les sommes garanties par les collectivités ne furent utilisées qu’à moitié.
Les autorités locales, la Ville de Grenoble et le conseil général de l’Isère, mais aussi les ministères des Colonies et du Commerce étaient impliqués dans ce projet. Le zoo humain participait à une mise en scène de la supériorité coloniale française
, présentée comme un génie colonial
et un modèle à célébrer.
Un héritage encore présent et une nécessité de mémoire
Avec près d’un milliard de spectateurs cumulés à travers le monde, les zoos humains ont profondément marqué les imaginaires occidentaux. Ces spectacles ont contribué à forger un racisme populaire qui a naturalisé les inégalités raciales et justifié la colonisation, la violence et la déshumanisation des peuples colonisés.
Comprendre ce passé est essentiel pour déconstruire les héritages idéologiques et culturels qui traversent encore nos sociétés. Le village africain de Grenoble, bien qu’étant un épisode du début du 20e siècle, illustre la manière dont la pensée coloniale a façonné les rapports au monde et à l’altérité, et invite à une réflexion critique sur notre rapport contemporain à la diversité et à l’histoire coloniale.
L’invention du sauvage
Conçue par la Fondation Lilian Thuram et le Groupe de recherche ACHAC, en partenariat avec le Département de la Creuse, L’invention du sauvage est une exposition organisée dans le cadre du centenaire de l’Exposition internationale de la Houille Blanche et du Tourisme de 1925 et d’une programmation dédiée à la mémoire coloniale. Elle a pour but de déconstruire les imaginaires coloniaux qui fondent encore aujourd’hui les mécanismes de discrimination. Trois panneaux sont consacrés à Grenoble et à son village africain
.
Une conférence sur ce thème est assurée par l’historien Pascal Blanchard, commissaire de l’exposition, à l’Auditorium du Musée de Grenoble le lundi 22 septembre 2025 de 18h à 19h30 (entrée libre).
Le Groupe de recherche Achac
Créé en 1989, le Groupe de recherche Achac est un collectif de chercheurs et de chercheuses, d’universitaires, d’écrivain.es, de collectionneurs et collectionneuses, de documentaristes et de journalistes qui travaillent sur les représentations, les discours et les imaginaires coloniaux et postcoloniaux, ainsi que sur les flux migratoires extra-européens à travers différents programmes de recherche (Histoire & culture, Mémoires combattantes, Racisme & zoos humains, Portraits de France, Sport & diversités, Immigrations des suds, Sexe, altérité & corps colonial).
Grenoble est engagée dans ce travail de mémoire critique de longue date, comme elle l’a fait avec les commémorations des 80 ans de la Libération qui ont mis en lumière la résistance étrangère et ultramarine, mais aussi avec les conférences sur le racisme et les discriminations auxquelles a participé par exemple Douce Dibondo sur la charge raciale.
Informations complémentaires
Maison de l'International de Grenoble
1 rue Hector Berlioz 38000 Grenoble
Durée
L'exposition L'invention du sauvage est visible jusqu’au 30 septembre 2025 du mercredi au samedi, de 14h à 18h. Accueil de groupes dont des classes sur réservation du lundi au vendredi de 9h à 12h et de 13h à 18h. Pour les enseignant-es et les élèves, un dossier pédagogique est disponible.
Tarif
Gratuit, entrée libre
l’agenda associé
- Lundi 22 septembre à 18h00
Auditorium du Musée de Grenoble
Conférence

- du Mercredi 20 août à 14h00 au Mardi 30 septembre à 18h00
Maison Internationale Grenoble
Exposition

- du Mercredi 20 août au Mardi 30 septembre
Maison Internationale Grenoble
Exposition
