Marine Bourgeois pose.
© Jean-Sébastien Faure

Marine Bourgeois : «Le logement social vit une crise sans précédent»

Politiste, spécialiste de l’action publique, des politiques urbaines et du logement social, Marine Bourgeois est maîtresse de conférences à l’IEP (Institut d’Études Politiques) de Grenoble et chercheuse au laboratoire de sciences sociales PACTE.

Société

Par Annabel Brot, publié le 3 mars 2025

Article

À quoi ressemble le parc français de logement social ?

Il représente 15% du parc total et actuellement, 10 millions de personnes - soit 17% de la population - en sont locataires. Il est le résultat de plus d’un siècle de construction, avec un pic dans les années 1970, puis un ralentissement qui s’est très fortement accentué ces dernières années ! En 2024, la production annuelle est passée sous la barre des 100 000, alors qu’elle était de 126 000 en 2016.

Comment expliquer cette chute spectaculaire ?

Plusieurs facteurs sont à prendre en compte : crise du Covid, guerre en Ukraine, hausse des taux d’intérêt… Par ailleurs, depuis 2018, l’État développe des politiques contre-productives. Ainsi la loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) soumet les bailleurs sociaux à des ponctions de l’État sur leurs recettes à hauteur de 1,3 milliard par an environ. Ceci restreint leur capacité à financer de nouveaux logements et explique en grande partie l’effondrement de la construction. D’autres mesures se sont par ailleurs avérées peu efficaces. Promulguée en 2000, la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) impose aux communes importantes un taux minimum de logements sociaux. Cependant, le dernier recensement de la Fondation pour le Logement des défavorisés pointe pas moins de 64% de communes hors-la-loi.

Quelles en sont les conséquences ?

Le logement social vit une crise sans précédent. En effet, ce processus entraîne une pénurie. Or, celle-ci s’inscrit dans un contexte social difficile où la précarisation galopante se conjugue avec une crise du logement généralisée : hausse des loyers, des prix de l’immobilier, des expulsions… Si bien que le nombre de demandes explose et atteint aujourd’hui 2,7 millions : un record ! Dans le même temps, les attributions diminuent de manière significative : moins 10 % ces cinq dernières années. Le problème est accentué par le fait que le taux de rotation diminue dans le logement social. En raison de l’inaccessibilité croissante du parc privé, on reste plus longtemps dans le logement social. Il n’a plus sa fonction historique de « sas » dans un parcours résidentiel ascendant.

Tout le monde a-t-il les mêmes chances d’accéder au logement social aujourd’hui ?

Non : il a tendance à exclure les plus défavorisé-es. Cette situation est systémique car les politiques encadrant l’attribution du logement social, comme la Loi Égalité et Citoyenneté de 2017, ont une lecture de la mixité sociale qui défavorise assez nettement certaines populations. Des recherches menées sur les politiques d’attribution révèlent un paradoxe : la notion de mixité sociale est utilisée pour favoriser les ménages dotés de ressources, au détriment des plus démunis, au nom d’une logique de mixité par le haut. Elle cristallise aussi des pratiques fondées sur le critère ethno-racial. Des études statistiques de l’INSEE montrent en effet que les ménages les plus modestes et/ou de nationalité non-européenne ont un délai d’attente plus important que les autres catégories de demandeurs à l’entrée du parc.