Portrait de Douce Dibondo.
© Gaëlle Bastian

Douce Dibondo : «En tant que femme noire, si je vais me plaindre à un service médical, est-ce que je serai crue ?»

Douce Dibondo est journaliste, écrivaine, poète et podcasteuse. Son livre La charge raciale, vertige d’un silence écrasant (éd. Fayard) est sorti en librairie en 2024 et elle sera en conférence à Grenoble le 18 mars. Rencontre avec cette jeune femme noire qui ausculte avec brio l’impact du racisme sur la vie des individus.

Société

Par Adeline Charvet, publié le 4 mars 2025

Article

On connait la notion de charge mentale, quand vous parlez de charge raciale, est-ce en rapport avec ça ?

Je compare avec la charge mentale parce que cela fait écho, mais la charge raciale a un poids historique, à partir de l’esclavage où les personnes noires étaient en bas de l’échelle de l’humanité et que nous portons en héritage. J’ai rencontré le terme de charge raciale lors de ma lecture du livre Le triangle et l’hexagone de Maboula Soumahoro, chercheuse américaniste.

Quand je suis tombée dessus, je me suis rendue compte qu’au-delà d’une charge mentale domestique en tant que femme, cette charge raciale est présente dans la vie de tous les jours des personnes racisées. C’est la conscience aigüe d’une mort prématurée à cause du racisme, savoir qu’à cause de sa couleur de peau, nous n’avons pas les mêmes chances qu’une personne blanche, que notre existence est trouée de discriminations, de violences policières, de violences médicales.

En tant qu’enfant noir racisé, nos parents nous prennent à part à un certain moment, vers sept ou huit ans, pour avoir une discussion et nous faire comprendre que nous allons devoir en faire quatre fois plus que les autres dans une société où nous sommes minorisés, où nos compétences ne seront pas perçues comme légitimes et où il va falloir que nous nous surpassions à cause d’un attribut que nous n’avons pas choisi, c’est-à-dire notre couleur de peau. C’est à ce moment-là que l’on nous ravit notre insouciance, que nous comprenons que cette couleur de peau va tracer le chemin de notre vie.

On ne se sait pas noir, c’est parce qu’on nous désigne, avant on pense juste être marron et que c’est un état de fait. Là, nous prenons conscience que nous ressemblons à nos parents, eux que nous pensions puissants, ne le sont pas dans cette société française. Plusieurs possibilités s’offrent alors à nous : soit je sors de ma culture et je l’efface, soit je l’embrasse et je deviens engagé et militant. Mais le choix se fait toujours à partir de quelque chose, en compensation, et non avec le droit d’être tout simplement.

Pouvez-vous nous raconter une situation typique où en tant que jeune femme noire, vous ressentez particulièrement cette charge ?

Depuis mon arrivée du Congo en France à l’âge de douze ans, j’ai compris que j’étais noire parce qu’on me l’a fait comprendre. On m’a beaucoup renvoyé que je ne savais pas bien parler français, et donc que j’étais bête. Puis, j’ai dû dans différentes situations de travail ne pas rire, ne pas me faire remarquer, ne pas être trop pour ne pas être renvoyée au stéréotype de la femme noire trop présente, trop bruyante, trop pleine de vie. J’ai dû effacer de nombreuses parts de moi. Et il existe la même charge raciale pour les personnes asiatiques ou maghrébines avec d’autres stéréotypes.

Est-ce que cette charge peut atteindre la santé physique et morale des personnes racisées ?

Il y a des femmes noires qui ne sont pas prises au sérieux quand elles ont des problèmes médicaux, c’est ce qui s’appelle le syndrome méditerranéen. Il y a des cas où en état d’urgence vitale des femmes noires n’ont pas été crues à cause du stéréotype que les personnes noires exagèrent leur douleur pour attirer l’attention. Et ces jeunes femmes en sont mortes. C’est cela la charge raciale : en tant que femme noire, si je vais me plaindre à un service médical, est-ce que je serai crue ?

Il y a des stratégies que l’on met en place. Par exemple, pour le suivi médical de ses parents noirs ou racisés, on cherche un médecin d’origine étrangère. Il faut anticiper, prévoir, être tout le temps sur le qui-vive, pour soi-même ou pour les gens autour de soi. Il y a une charge que l’on appelle « allostatique », c’est-à-dire les conséquences négative du stress sur l’organisme. Par exemple, voir à la télévision des actes racistes, cela crée du stress. Tout le stress entraîne des maladies. S’ajoutant parfois le fait que des médecins ne prennent pas en compte la situation, que les personnes racisées ont souvent peu de moyens pour consulter...

Cette charge est dans tous les pans de notre existence, même au niveau intra-personnel : comment je me pense, comment les autres me voient, ai-je de l’estime de moi-même ? C’est un chemin de déconstruction à enclencher.

Le 18 mars, vous rencontrez les Grenoblois pour aborder cette réalité.

Qu’est-ce qu’il vous tient à cœur de transmettre aux auditeurs dans vos podcasts, à vos lecteurs dans vos livres, et à votre public lors de vos conférences ?

Je m’adresse en premier lieu aux personnes concernées par cette charge raciale avec l’idée que nous devons pouvoir allier le politique et le psychologique. La question de l’intériorité est pour moi primordiale. La manière dont le racisme influence notre vie ne peut pas seulement être purement sociologique, historique et institutionnelle. Nous avons été coupés de notre intériorité. J’encourage à aller vers une archéologie du soi, non pas dans une vision individualiste mais pour pouvoir retrouver le je et le conjuguer avec le nous.

Aux personnes qui ne sont pas concernées directement par le racisme, j’offre une compréhension de notre intériorité. Je mets en scène des moments de ma vie pour que personne ne puisse me dire ensuite nous ne savions pas. Mon souhait est que les personnes sortent d’une ignorance volontaire ou involontaire de cette charge raciale.

Vous êtes aussi poète, est-ce que l’art vous aide à dépasser ces difficultés ?

La poésie, c’est mon lieu où il n’y a pas de réflexion. Quelque chose me traverse, je donne quelque chose au monde, il me donne, c’est circulaire. Je n’ai pas à réfléchir et c’est cet état poétique qui me permet une certaine verticalité. Pour moi, un état poétique c’est être en connexion avec le monde. Et à travers ma poésie, je vois mes manquements qui me permettent de théoriser et de réfléchir avec des mots qui sortent de ce que l’on m’a imposé.

Informations complémentaires

Durée

Rencontre avec Douce Dibondo, le 18 mars à 18h30 à l’Hôtel de Ville de Grenoble

Tarif

Entrée libre

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l’agenda associé

  • Mardi 18 mars à 18h30

Hôtel de Ville