Eric Piolle s'exprime au milieu d'autres personnes dans un parc.
© Auriane Poillet

Eric Piolle, maire de Grenoble : «Pour une écologie accessible, festive, intergénérationnelle»

Société

Par La Rédaction, publié le 24 avr. 2025

Article

La Biennale des Villes en transition, c’est relier le quotidien à une vision d’avenir. Qu’exprimera l’édition 2025 ?

La Biennale montre ce lien essentiel entre l’action quotidienne et notre capacité à nous projeter. Pour imaginer l’avenir, il faut d’abord un présent vivable, que les besoins fondamentaux soient couverts. C’est cette autonomie-là qui permet aux habitant-es, élu-es, agent-es, société civile, acteurs et actrices économiques d’inventer un futur désirable pour toutes et tous. À Grenoble, nous faisons ce choix. Par des décisions utiles, concrètes, nous préservons dès aujourd’hui l’habitabilité de la ville et le respect du vivant. C’est tout le sens de la démarche Grenoble 2040. La Biennale vise aussi à permettre à chacune et à chacun de s’inspirer de ce qui se fait de mieux ici et ailleurs.

En 2025, ce cap se traduit dans la programmation. Fatima Ouassak et Jean Jouzel en sont deux figures fortes : l’une incarne l’écologie de la proximité, l’autre celle de la vision systémique, portée par la science et les rapports du GIEC. Le thème « Graines d’avenir » illustre bien cet élan : chaque geste compte, pourvu qu’il s’inscrive dans la durée.

Cette capacité à voir loin, à tenir le cap, est d’autant plus précieuse que le contexte international est instable. Face aux discours de repli, de peur ou d’exclusion, nous choisissons l’ouverture. Une vingtaine de pays seront présents. La Biennale s’ouvrira avec Résiste – les Filles du renard pâle, un spectacle d’équilibre, poétique et physique, qui reflète bien l’esprit d’un territoire en transition : continuer à créer, à rêver, à construire ensemble, malgré les déséquilibres du moment.

Un adulte est un enfant sont assis dans l'herbe au bord du bassin du parc Pompidou.
Un adulte est un enfant sont assis dans l'herbe au bord du bassin du parc Pompidou. :
© Jean-Sébastien Faure

Cette édition veut rendre l’écologie populaire, joyeuse, partagée. Ce pari est-il tenable dans le contexte actuel ?

Oui, il est possible – et nécessaire – de rendre l’écologie accessible, festive, intergénérationnelle. Depuis 11 ans, nous le prouvons. Le rôle d’une collectivité est aussi de permettre à chacune et à chacun de se sentir impliqué-e et utile.

On peut y venir seul-e, en famille, entre ami-es. Des activités pour tous les âges seront proposées : initiation à la cuisine végétarienne, battle de danse avec les jeunes d’Émergences, ateliers autour de la théorie du Donut… sans oublier l’émission de la Dernière, présentée par Guillaume Meurice et toute l’équipe Radio Nova. Des temps seront aussi réservés aux professionnel-les.

On oppose souvent les générations dès qu’on parle d’écologie. Mais il y a un socle commun à tous les âges : c’est la santé – environnementale, physique, mentale. C’est là que les villes ont un rôle clé, dans leurs compétences concrètes. Lutter contre la pollution, c’est protéger les plus vulnérables. Favoriser le vélo, c’est ralentir le rythme et encourager les mobilités actives. Choisir des matériaux sains pour les écoles ou les logements, c’est agir sur la qualité de l’air, les économies d’énergie et le bien-être. Et lorsqu’on végétalise une cour d’école, on crée à la fois un îlot de fraîcheur, un nouvel imaginaire pour les enfants, et de meilleures conditions de travail pour les agent-es et les enseignant-es.

Le Brésil est mis à l’honneur cette année. Quels sont les liens entre Grenoble et ce grand pays ?

Le Brésil, comme Grenoble, fait face aux impacts directs du dérèglement climatique : la déforestation en Amazonie, aggravée par les incendies et accélérée sous l’ère Bolsonaro d’un côté ; la fonte rapide des glaciers alpins et les canicules à répétition de l’autre. Ces deux réalités nous obligent à regarder en face l’urgence, aussi bien qu’à inventer des solutions concrètes.

Nos deux territoires expérimentent aussi des formes innovantes de démocratie : monnaies locales, budgets participatifs, interpellation citoyenne. L’enjeu est commun : permettre aux habitant-es d’agir sans exclure, sans diviser.

La culture crée aussi des ponts. Le musée de Grenoble accueille une exposition du peintre José Antonio da Silva, dont l’œuvre navigue entre naturalisme et engagement politique. À la Biennale, on pourra entendre la chanteuse Flavia Coelho, rencontrer Cledisson dos Santos Junior, secrétaire au ministère brésilien de l’Égalité raciale, ou encore Monica Benicio, conseillère municipale à Rio, veuve de Marielle Franco et marraine de cette édition.

Leur présence à Grenoble, peu après l’adoption de notre plan local de lutte contre les discriminations, donne une force symbolique à ces échanges.

La Biennale veut aussi changer de récit : sortir de la domination sur la nature pour réintégrer l’humain dans le vivant. Comment avancer dans ce sens sans tomber dans les raccourcis ?

C’est une question essentielle. L’histoire récente montre comment la nature a pu être instrumentalisée pour légitimer des politiques inégalitaires. On a souvent cité Darwin pour justifier des visions libérales ou autoritaires. Aujourd’hui encore, l’efficacité peut être mise en avant au détriment de l’humain, sans prendre en compte les plus fragiles. La Biennale veut au contraire remettre du sens, du lien, du récit dans nos politiques publiques. Cela passe par des tables rondes, des formations, des moments de partage entre habitant-es, , invité-es et agent-es des villes. Une table ronde organisée avec le quotidien national Le Monde proposera d’explorer comment le vivant peut nous inspirer. Certaines inventions sont nées de l’observation des animaux ou des végétaux. On peut s’inspirer d’autres espèces pour trouver d’autres façons d’agir ensemble. On aime présenter l’évolution comme le résultat d’une bataille. Certaines espèces animales se répartissent les rôles dans une ruche, s’apportent de l’aide, dépendent les unes des autres. C’est l’établissement de liens qui favorisent des écosystèmes robustes et durables.

Pablo Servigne, co-auteur de L’Entraide, l’autre loi de la jungle, sera présent pour en témoigner, au côté d’autres voix inspirantes comme l’écrivaine et réalisatrice Laure Noualhat. Car poser les conditions d’une ville en transition, c’est aussi transformer nos imaginaires, retrouver un rapport plus humble et joyeux au monde, élargir le champ des possibles.