Pouvez-vous présenter votre champ d’études ?
Mon objet de recherche concerne les territoires touristiques de montagne et notamment ceux structurés par l’économie des sports d’hiver. Je m’intéresse en particulier à la question des modalités de gouvernance à l’œuvre dans ces territoires ainsi qu’à l’adaptation au changement climatique, sous l’angle des conditions d’enneigement et de la vulnérabilité économique qui en découle, sous l’angle également de la diversification de l’offre touristique.
Cette vulnérabilité face au changement climatique est très différenciée selon le type de site. Les stations ont un certain nombre de changements à gérer.
Comment réussir à s’organiser pour relever des défis aussi complexes ?
En lien avec la Loi Montagne de 1985, les collectivités locales qui sont les supports des domaines skiables, sont les responsables de ce pilotage touristique. À elles de gérer l’outil de production en direct ou d’en déléguer la gestion. Cela entraîne des relations possiblement partenariales, de type partenariat privé/public.
Le deuxième niveau de gouvernance, c’est cet écosystème d’acteurs qu’on appelle « station » : responsable du domaine skiable, hébergement, restauration, commerces, loisirs. Cet écosystème est très bigarré : on peut avoir affaire à des grands groupes, à des acteurs unipersonnels, à des collectivités locales, à des opérateurs tels qu’offices de tourisme, clubs de sports, etc. Tout ce petit monde devrait travailler ensemble pour construire une destination, renforcer sa qualité d’accueil, et intégrer tous les facteurs de changement.
Ces acteurs sont eux-mêmes confrontés à ces changements, chacun dans son périmètre, mais aussi à l’échelle générale de la station, et cela ne va pas de soi. Est-ce que derrière ce bien commun qu’est une station, on arrive à jouer collectif, à discuter et à s’entendre, à aller dans le même sens, à savoir gérer les conflits qui peuvent s’exprimer ? Si dans une grande station, l’on est encore relativement « protégé » d’un certain nombre d’impacts liés au changement climatique, d’autres sites sont soumis à des vulnérabilités fortes, notamment en termes d’enneigement mais aussi de rentabilité économique.
Là, on est au pied du mur et peuvent s’exprimer des visions différentes de l’avenir, des tensions pouvant aller jusqu’à des conflits importants, comme à l’Alpe du Grand-Serre ou Gresse-en-Vercors. Derrière les chiffres au niveau global tirés par les grandes stations, il y a des réalités beaucoup plus complexes. Il faut alors entamer une démarche qui doit être la plus participative, construire chemin faisant sa vision du territoire pour demain, avec ou sans station, avec ou sans ski, et avec d’autres formes de tourisme.
Qu’en est-il de cette diversification touristique dans les faits ?
La question est sur la table depuis plus de quinze ans. Cette nouvelle offre est largement soutenue par les politiques publiques de financement. Il peut s’agir de la valorisation du patrimoine au sens large, naturel, agricole, culturel, du développement de prestations touristiques, neige comme hors neige : raquettes, itinérance, vélo, visites de fermes, vente de produits en direct, création de routes de savoir-faire…
Tout cet ensemble d’activités est proposé à des échelles plus vastes que celle de la seule station, parce que les ressources se situent dans un territoire beaucoup plus large. Cette stratégie pose donc des questions de gouvernance : il faut faire discuter ensemble des acteurs qui ne se connaissent pas forcément très bien. Avec un vrai point d’attention : éviter que tout le monde fasse la même chose et réalise des investissements lourds similaires à quelques kilomètres de distance. Deux parcours pédagogiques pour découvrir le patrimoine naturel, très bien, mais deux centres de balnéothérapie proches, beaucoup plus coûteux à réaliser, est très risqué.
Il faut jouer la complémentarité, d’autant que l’été, les visiteurs rayonnent, contrairement à l’hiver, où ils restent en station.
On dit cependant que la diversification ne rapportera jamais autant d’argent que le ski.
C’est un discours très souvent entendu. Or, dans certaines situations, on surestime largement les retombées économiques des remontées mécaniques, sans prendre en compte ce qu’elles coûtent réellement à la collectivité. On raisonne beaucoup en chiffre d’affaires et pas tant en résultat net. Derrière le chiffre d’affaires, il y a des charges, des emprunts, des dettes… Bien sûr, dans l’absolu, il y a un effet de levier qui s’opère, en permettant à des commerces de se développer, à des gens de vivre à l’année en station.
Or, nous ne sommes plus dans le même contexte financier et économique, notamment pour les collectivités locales. Beaucoup d’entre elles n’ont plus les moyens de soutenir cette activité-là. Celles qui le font posent la question de l’affectation pertinente de leurs dépenses : l’argent qu’elles mettent dans une station, elles ne peuvent le mettre ailleurs, dans les services, dans l’accueil, etc. Ce n’est pas simple pour un-e élu-e d’être aussi celui ou celle qui dit d’arrêter une station. Il faut du courage.
Par ailleurs, une offre touristique portée par une diversité d’acteurs réduit le risque supporté par chacun. Les discours qui veulent défendre une station en termes d’emplois ou d’activités connexes ont besoin d’être documentés beaucoup plus précisément que sur la base de grands discours nationaux, qui valent pour une filière entière mais pas pour un territoire spécifique.
Comment se situe la transition de la montagne française par rapport aux autres pays alpins ?
A travers le projet européen TranStat, nous nous intéressons, à l’échelle de cinq pays alpins, à l’engagement de neuf stations dans un processus de transition et à la manière dont les acteurs réagissent à tous ces facteurs de changement. La Suisse, l’Autriche, l’Italie et la Slovénie partagent avec la France, des enjeux assez semblables, avec des intensités variables selon les sites.
La transition n’est pas dévolue aux seules stations françaises. On est tous à peu près au même niveau de cette transition, à chercher et à construire. On a des manières de répondre aux enjeux parfois différentes, compte tenu de contextes politiques et administratifs spécifiques.
Avec des problématiques particulières à chacun : en Slovénie a surgi la question de la sur-fréquentation estivale par exemple, tandis qu’en Suisse se pose la question de l’employabilité des personnes qui viennent travailler dans la destination. Et un peu partout on s’interroge sur l’impact des résidences secondaires sur le marché du foncier et sur l’attachement des propriétaires à la station et au territoire dans son ensemble.