Hêtre à dent de scie.
Hêtre à dent de scie.

© Jean-Sébastien Faure

Arbre(s), je vous aime

Grenoble intra-muros possède une collection de 278 «arbres remarquables», héritiers d’une longue histoire et sujets d’émerveillement…

Environnement

Par Isabelle Ambregna, publié le 28 août 2025

Article

Non, l’arbre ne cache pas la forêt – qui bien souvent l’emporte lorsqu’on s’intéresse au végétal. Et pourtant… L’arbre mérite, à de nombreux égards, le singulier. Par sa propre histoire, nichée au creux de son tronc, par l’imaginaire ou l’évasion qu’insufflent le dessin de sa ramure et sa variété botanique, par le témoignage qu’il procure sur son environnement. Par la respiration qu’il nous offre, tout simplement.

Si chaque arbre est unique, certains le sont encore davantage. Ce sont ceux que l’on appelle les arbres remarquables. Fait méconnu : il existe en ville, autrement dit sur le périmètre grenoblois stricto sensu, deux cent soixante-dix-huit individus remarquables, à l’instar d’un hêtre à dents de scie sans équivalent, d’un marronnier séculaire, d’un cyprès chauve colossal, du cèdre du Liban marqueur de paysage, d’un frêne à fleurs méridional et du platane résilient… aussi rares qu’inattendus !

C’est un inventaire sans fin, considère Christophe Périnot, technicien Arbres au service Nature en ville (également co-auteur du blog Les Têtards Arboricoles) qui avait commencé à les inventorier dans son livre Arbres remarquables en Isère (paru en 2022, Museo éditions), soutenu par la Ville de Grenoble. Rencontre avec un passionné et petit florilège de six arbres exceptionnels qui, comme l’avait écrit Christian Bobin, « [nous ont] donné, en une poignée de secondes, autant de joie pour les vingt années à venir – au moins ».

Le marronnier du parc Paul-Mistral

Avec son tour de taille spectaculaire de 5,35 mètres, son houppier inversement proportionnel à son tronc court flanqué de 7 vigoureuses branches charpentières (jamais taillées) et ses 25 mètres de hauteur, le marronnier fait figure de gardien du parc Paul-Mistral. Pour un peu, le colosse, considéré en France comme l’un des plus gros de son espèce, rivaliserait avec la tour Perret, emblème de l’espace vert.

Qui était là avant l’autre ? Pas sûr que la vieille dame en béton armé, centenaire cette année, lui vole la vedette. Des photos d’archives aériennes prouvent que des arbres préexistaient à l’aménagement du parc (ex-terrain militaire) inauguré en 1925, lors de l’exposition de la Houille Blanche. Les spécialistes sont unanimes : la taille du marronnier grenoblois avoisine celle de ses aînés âgés de 250 ans, voire plus…

Le cèdre du Liban du parc Michallon

Des beaux-arts aux beaux arbres, il n’y a qu’un pas… comme le prouve Cedrus libani, implanté à l’arrière du musée de Grenoble dans le parc Michallon. Un chef-d’œuvre, à rendre jaloux l’artiste Giuseppe Penone ! Visible de loin, l’arbre avec un grand A au port exceptionnel (27 mètres) surpassant le quai Jongking, est tout aussi merveilleux de près. À sa forme tabulaire spectaculaire s’ajoute un tour de taille remarquable de 5,35 mètres – mesuré en 2018, il n’est pas impossible qu’il se soit encore étoffé depuis. Sans oublier le parfum odoriférant du conifère, marqueur du paysage et du parc, depuis sa création en 1860…

Le frêne à fleurs de la Bastille

Sous un profil modeste, Fraxinus ornus est une vraie curiosité ! Son développement est moyen, sa hauteur avoisine les 10 mètres et il part en multi-troncs, ce qui rend sa circonférence difficile à mesurer, explique Christophe Périnot. Pour autant, le frêne à fleurs vaut à lui seul une grimpette à la Bastille !

Frêne à fleurs
Frêne à fleurs :
© Jean-Sébastien Faure

Dans un virage situé juste au-dessus de la rue Saint-Laurent, ce petit feuillu méridional surgit, étonnant par sa présence naturelle dans nos contrées… Rare, méconnu et d’une élégance folle au printemps où l’indigène, âgé de 50 ans, se pare de grappes de fleurs blanches parfumées, pleines de panache. Une essence résistante à la chaleur que la Ville réimplante dans les parcs en raison du dérèglement climatique…

Le platane du quartier Hoche

À force de le voir, depuis le XVIIIe siècle, aligné, dupliqué, sur les voiries, le platane s’est banalisé. Celui du quartier Hoche fait exception ! Enserré entre les façades de béton du gymnase et du parking à étages, ce géant de plus de 28 mètres de hauteur s’échappe du carcan minéral et de ses graffitis, tutoyant le ciel : C’est un miraculé !, s’extasie Christophe Périnot, en rappelant qu’un double alignement de platanes présidait ici, dans les années 1930, avant l’urbanisation…

Sa résistance – résilience – force au respect. L’occasion de reconsidérer l’essence botanique, d’observer ce longévif (93 ans !), ses feuilles à grandes nervures semblables aux doigts d’une main, son écorce exfoliante et bariolée, et de se souvenir que dans la mythologie grecque, Platanus est le symbole de la régénération. Chassez le naturel…

Le cyprès chauve du parc Soulage

C’est l’histoire d’un domaine privé avec maison de maître et jardin, où serpentait jadis le Verderet… Au beau milieu : un colosse venu d’Amérique du Nord, de Louisiane précisément. À 143 ans, l’âge de Taxodium distichum se confond avec celui de cet écrin de verdure, prolongé par l’industriel grenoblois Émile Soulage, puis par la Ville de Grenoble, l’actuelle propriétaire. Du haut de ses 30 mètres, ce gardien séculaire du jardin public en impose.

Cyprès chauve.
Cyprès chauve. :
© Jean-Sébastien Faure

Même minuscule à ses côtés, il nous donne envie d’enlacer son solide tour de taille (5,5 mètres !), et de revenir à chaque saison : son houppier vert tendre au printemps se pare d’or à l’automne avant de se dégarnir totalement en hiver, d’où son nom… Si vous aimez flâner, faites quelques pas de côté, vous y découvrirez un rusticage, un petit ouvrage du XIXe siècle maçonné imitant le bois, parfaitement restauré.

Le hêtre à dents de scie au Jardin des Plantes Joséphine-Baker

Tulipier de Virginie, arbre aux mouchoirs, pin mugo… il y a de la concurrence dans ce jardin-là ! Fagus sylvatica grandidentata tire son épingle du jeu : ce cultivar aux feuilles dentées (d’où son nom) est extrêmement rare – Il n’a, selon Christophe Périnot, pas d’autre équivalent en France.

Droit comme un I et en parfaite santé malgré son grand âge, le centenaire – 24 mètres de hauteur, 3 mètres de circonférence – à la peau dure et au grain très fin, produit des graines discrètes et méconnues, appelées faînes, que l’on peut manger grillées après avoir ôté la peau de couleur brune. Les petites bêtes raffolant de leur saveur douce et noisetée, ouvrez l’œil et faites vite !

Pour aller plus loin :

L’association A.R.B.R.E.S, créée en 1994 à Paris, décerne chaque année depuis 25 ans le label « Arbre remarquable de France », auquel s’ajoute une seconde labellisation Ensemble Arboré Remarquable.

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