Portrait de Fatima Ouassak
© Pauline Rousseau

Fatima Ouassak : «Faire confiance à l’intelligence collective des quartiers populaires»

Fatima Ouassak est politologue, essayiste, marraine de la Biennale des Villes en transition 2025 et autrice de Pour une écologie pirate :
et nous serons libres (La Découverte).

Société

Par Richard Gonzalez, publié le 24 avr. 2025

Article

C’est quoi, une écologie pirate ?

De plus en plus, c’est une écologie antiraciste et internationaliste, dans le contexte français et européen actuel. Le projet écologiste que je défends, c’est le refus de l’extrême-droite et de la hiérarchisation raciale, le refus des frontières. Et je pense qu’il est subversif aujourd’hui de défendre l’égalité, la liberté de circulation comme un droit fondamental. On ne pourra pas lutter contre les conséquences du dérèglement climatique si on ne lutte pas dans le même temps contre le racisme, contre l’islamophobie ou pour l’ouverture des frontières.

En quoi vous paraît-il nécessaire de rapprocher les deux combats de la transition écologique dans les villes et l’émancipation des quartiers ?

Il est nécessaire, si l’on veut être crédible et sérieux, d’envisager l’écologie depuis les quartiers populaires. On ne peut pas aborder l’écologie sans associer à cet horizon l’égalité humaine, la lutte contre le racisme et contre l’islamophobie, ainsi que la question migratoire. A l’heure où l’on constate une montée en puissance des idées racistes et fascistes, en France et en Europe, on ne peut pas nous demander de nous intéresser à des horizons d’émancipation et de défendre une écologie politique sans y associer un combat anti-raciste.

Au-delà des quartiers populaires, il est de l’intérêt général d’y associer les deux. J’essaie de démontrer qu’il y a un lien entre les ravages causés à la Terre, en tous cas à certaines terres, et les ravages que subissent certaines populations. Les terres qui subissent le plus de dégâts, comme par hasard, sont celles qui sont habitées par les populations les plus discriminées, les plus opprimées. Lutter contre la destruction des terres doit s’accompagner de la lutte contre la déshumanisation ou la sous-humanisation des populations qui les habitent.

Quels constats faites-vous des quartiers tels qu’ils existent en France ?

On voit bien que certaines terres sont préservées et d’autres ravagées. Les territoires les plus soumis à la pollution sont le plus souvent ceux qui sont habités par les classes ouvrières et notamment les classes ouvrières racisées. Il faut faire confiance à l’intelligence collective des habitant-es de ces quartiers. Car ils se rendent bien compte des problèmes écologiques : ils vivent dans des endroits où ça pue, où c’est moche, où on respire mal, où leurs enfants sont plus asthmatiques qu’ailleurs et où l’espérance de vie y est moindre.

Ce n’est pas pour rien si tout le monde veut quitter ces quartiers alors même qu’il y a un attachement affectif très fort à ces lieux depuis plusieurs générations. Les familles qui y vivent voudraient que leurs enfants puissent aller gambader dehors, respirer et jouer tranquillement, puissent avoir un peu de nature et de beauté, voir le soleil se coucher le soir, plutôt que d’habiter dans des tours, emmurées, compartimentées, près des déchèteries ou des data centers.

Comment réussir à impliquer les habitant-es de ces quartiers dans le combat écologique ?

Changer le projet écologiste en question, qui est aujourd’hui colonial. L’écologie ne tombe pas du ciel, elle n’a rien de divin. Elle ne doit pas être portée par telle ou telle classe sociale. Ce n’est pas la peine d’aller dans les quartiers avec un projet en essayant de dire aux habitant-es regardez comme c’est beau, ça va répondre à vos problèmes.

Cette écologie politique-là aura zéro succès : elle ne parle pas aux gens, parce qu’elle n’a pas été pensée et expérimentée pour ces gens-là. Je précise que je suis une militante de l’écologie politique, mais je suis très critique vis-à-vis d’elle. Je crois en l’écologie politique comme outil d’émancipation, notamment pour les quartiers populaires. Il faut travailler le projet, en le rendant le plus parlant possible, par rapport aux intérêts, par rapport aux enjeux, par rapport aux référents culturels, par rapport à la spiritualité qu’on peut y trouver, par rapport au réconfort, par rapport à tous les horizons que ça peut ouvrir.

À paraître : Terres et Liberté – Manifeste antiraciste pour une écologie de la libération (sous la direction de Fatima Ouassak, éditions Les Liens qui libèrent)